Arriver au bon moment, c’est 50% de chance de réussite pour un artiste, les autres 50% étant réservés à la qualité du rendu. Nous sommes en 1995, le grunge made in Seattle laisse place à une forme évoluée du rock alternatif tout aussi électrique mais plus propre et plus mélodique. Côté masculin, les Posies et les Foo Fighters sont parmi les premiers à avoir repris le flambeau, tandis que chez les voix féminines, les Cranberries squattent durant des années dans les dix premières places des charts mondiaux. Pendant ce temps, une jeune artiste canadienne de 21 ans enregistre son troisième, Jagged Little Pill. La carrière d’Alanis Morissette a commencé dès son premier album Alanis (1991), véritable carton dans son pays natal, mais c’est avec ce troisième album qu’elle étend sa notoriété à l’international.
Jagged Little Pill, considéré injustement par moi-même comme étant sa première oeuvre, est le seul album de la belle ayant pu être écouté et assimilé dans son intégrité. Non pas que le reste de sa discographie soit mauvaise, loin de là, mais si il n’y avait qu’un de ses disques à conseiller, ce serait celui-là. Production modeste mais esprit plus rock que pop, voix juvénile mais finalement plus crédible que jamais, douze titres qui ont marqués mon enfance, accessibles à tous et non-dénués de tout ce qu’on attend d’un album de rock/folk: de l’émotion, des mélodies simples sans être trop faciles, une bonne dose d’électricité et une chanteuse qui assure sans pour autant être parfaite. Le charme, voilà ce qui rend un album de rock génial, surtout quand celui-ci est rempli de tubes. Au départ, Jagged Little Pitt n’était pas destiné à être bombardé sur les ondes, le producteur Glen Ballard estimant juste avant sa sortie une vente d’environ 50000 exemplaires limité au Canada, mais contre toute-attente, un DJ d’une station de radio américaine tombe par hasard sur le morceau « You Oughta Know » et le fait tourner en boucle des jours durant. Le succès est immédiat, et la chaîne musicale MTV prend la relève en diffusant le clip vidéo. Grâce à cela, la France a pu mettre la main sur des morceaux terriblement accrocheurs comme « Hand In My Pocket », « You Learn » ou « Ironic » pour les titres un peu popisant. Sans parler d’influences purement grunge, on peut ressentir quelques éléments propres à Pearl Jam sur l’électrique « Right Through You » ou la plus posée « Mary Jane ». Pas de morceaux superficiels, pas deux titres identiques, beaucoup de détente et de poésie avec une classe qui manque terriblement aujourd’hui.
Outre le fait d’être son plus gros succès à ce jour, Jagged Little Pitt est également le disque où Alanis se met le plus en valeur. Les albums suivants, s’ils restent plaisant à écouter, n’apporteront que quelques sonorités électroniques mais la recette reste la même.Cette rockeuse téméraire, auteur-compositeur-interprète, ouvre la voie, aux côtés de Sheryl Crow, à une multitude d’artistes rock féminins comme Michelle Branch ou Avril Lavigne. Un album marquant des années 90, pas spécialement révolutionnaire mais simplement, comme le dit la première phrase de cet article, arrivé au bon moment et sacrément efficace.
Laurent.