Genre: Deftones ©2016
Tout fan de musique qui se respecte sait qu’un nouvel album de Deftones nécessite au minimum une semaine d’apprivoisement pour être jugé à sa juste valeur. Surtout que le public à l’habitude depuis les débuts du groupe de Sacramento d’être surpris un peu plus à chaque sortie, loin de tout code, de toute prévisibilité, loin de tout de ce qui se fait d’autre dans la musique. Oui, Deftones est unique en son genre, c’est pourquoi il fait partie de ces artistes qu’on aime ou qu’on déteste, pas de demi-mesure.
Gore est le huitième rejeton du quintet, succédant au terrible Koi No Yokan qui n’avait pas fait l’unanimité en raison d’un son plus léger mais qui pour ma part, fait partie du top 3 de sa discographie (rien que pour «Swerve City» et «Entombed») . Produit par le groupe lui-même et co-produit par Matt Hyde, qui a déjà bossé avec Monster Magnet, Fu Manchu et Hatebreed, Gore est une nouvelle fois le fruit de confrontations entre Stephen Carpenter et Chino Moreno pour savoir dans quelle direction orienter l’album, le premier s’estimant être le seul noyau metal restant de la bande, le second étant un mordu d’electro/new-wave/ambient, dont les nombreux side-projects et collaborations ne suffisent visiblement pas. Toujours autant d’appréhension donc de la part des fans qui se jettent sur la moindre interview en rapport avec l’album à venir, et toujours se soulagement en écoutant les premiers singles.
Pour ne pas tourner davantage autour du pot, Gore est, à l’instar de Diamond Eyes, un album plutôt rapide à cerner, et qui se bonifie au fur et à mesure des écoutes. Le premier détail qui surprend est cette production plus rock, pour ne pas dire «à l’arrache», entâchant pour le coup une puissance dans les morceaux qui nous était familière. Le mix réducteur du couple basse/batterie est d’ailleurs le point noir qui m’empêche de ressentir de gros frissons, ceci dit attention, les morceaux sont d’une qualité telle qu’il est évident qu’on à affaire à du bon Deftones. Plus varié que jamais (encore plus que Saturday Night Wrist), Gore pourrait donner l’impression que le groupe s’est paumé dans son orientation, mais l’efficacité des morceaux en fait un album plus cohérent qu’il n’y parait. «Prayers/Triangles» entame l’aventure sobrement avec un refrain au chant un peu trop poussif avant qu’«Acid Hologram» nous confirme que Stephen Carpenter a eu son mot à dire pendant la composition (contrairement à ce qu’il a affimé dans certaines interviews). Un air de Koi No Yokan plane sur ces deux premiers morceaux avant que la suite ne nous renvoie au Deftones rentre-dedans de Diamond Eyes («Doomed User») ou au mysticisme de Saturday Night Wrist («Geometric Headdress», «Hearts/Wire»). Première partie d’album agréable, mais je dirais que les choses sérieuses débutent avec l’excellent «Pittura Infamante», qui signe le retour d’un riff-qui-tue comme nerf central d’une chanson de Deftones. Parce qu’on les aime, ces morceaux directs, malgré tout, ils se doivent d’être encore présents, personne n’a oublié ce que procurent «My Own Summer» ou «Be Quiet and Drive», il ne faut pas se leurrer. «Xenon» et «(L)MIRL» (le seul morceau avec la basse bien présente, hélas) sont également du pur Deftones aérien/puissant, avec des mélodies dont on se lasse difficilement. «Gore» est le morceau badass que tout le monde attendait, avec un son de gratte de dix-huit tonnes, des cris dans le couplet et un refrain entrainant (on peut tenter un rapprochement avec «CMND/CTRL» sur Diamond Eyes). Sur «Phantom Bride», Jerry Cantrell a été invité pour poser un solo qui, en ce qui me concerne, est bien… pourri. Pardon d’être aussi expéditif mais déjà qu’un solo sur Deftones, c’est chose compliquée, mais alors une espèce d’enchainement de tirés de cordes à la noix avec un son aussi garage, c’est gâcher un morceau qui aurait pu être beau, qui en plus nous gratifie d’une ultime minute pachydermique. Bref, nous avons là l’unique morceau à côté de la plaque de l’album, avec un invité pourtant prestigieux, dommage. Rien de bien grave puisque nous arrivons à la pépite de Gore, «Rubicon», qui illustre à perfection l’attirance que peuvent avoir des personnes pour Deftones, à savoir des gros riffs mélodiques et un chant qui véhicule des émotions sans trop en faire.
En dépit de quelques points noirs qui nous empêchent de parler de tuerie, comme le mix faible encore un peu dur à digérer et le manque de morceaux vraiment phares, Gore demeure un très bon album de Deftones car très varié sans jamais entrer dans l’incohérence. Le temps nous fait accepter l’omniprésence du couple Carpenter/Moreno -d’ailleurs, si une (Jason) bonne âme avait le temps de m’éclaircir sur l’utilité de Frank Delgado, je lui serais très redevable- car après tout, ce qui compte avec ce groupe, c’est le résultat.
Laurent.