Jusqu’en 1974, King Crimson fût le seul groupe estampillé prog’ a réaliser un coup de maître dès le premier album. La notoriété de Genesis et de Yes ne débutant que vers 72, il ne manquait plus de voir qui d’autre allait réaliser un tel exploit. C’est alors que deux groupes sortent simultanément leur premier album éponyme en mars 1974, Rush et Kansas, qui marqueront une ère nouvelle du prog’ en incorporant des sonorités hard rock au genre.
Si la cote de Rush s’est étendue rapidement grâce aux nombreuses diffusions radios, celle de Kansas devra attendre l’apparition de leur troisième opus Leftoverture deux an après pour que les qualités de ce premier album soient justement reconnues. Pourtant le groupe avaient nombre d’atouts pour faire vibrer la Terre entière de manière instantanée: un Phil Ehart hystérique derrière ses fûts, un Dave Hope qui fait gronder sa basse aussi bien qu’un certain Roger Glover, un Kerry Livgren aux effets de gratte hallucinogènes, un violoniste virtuose qui répond au nom Robbie Steinhardt également vocaliste, et surtout l’apparation d’un Steve Walsh qui donne une seconde vie à l’utilisation du clavier tout en possèdant une voix extrêmement envoûtante et d’un Richard Williams en tant que second guitariste qui apporteront la touche « boogie » qui fera toute l’originalité de ce combo magique.
Ici on ne vous parle pas d’un groupe qui se perd dans des expérimentations sonores à dormir debout, ou de six crétins essayant en vain de ramasser les restes de Deep Purple ou King Crimson, il est vraiment question d’une entité à part sobrement intitulée Kansas. Plus directement, c’est à de la magie qu’on à affaire: celui qui n’aurait pas envie de remuer ses fesses sur « Bringing It Back » et « The Pilgrimage », de tout casser avec la fusée « Belexes » (ce jeu de basse et ce solo de batterie à couper le sifflet net…!!) ou de verser des larmes avec « Lonely Wind » et « Journey From Mariabronn » (notons que le violon est là pour ça), devra s’expliquer de son mépris ou se cacher de sa cruelle absence d’un coeur.
Plus sérieusement, Kansas résulte non seulement d’un travail de pros millimétré, mais on sent également un feeling émotionnel qui sera présent tout au long des huit titres, un peu moins sur la quasi-instrumentale « Death Of Mother Nature Suite » – Steinhardt ne fait que deux brèves démonstrations de son timbre rugueux – où le rythme alterne entre cocktail explosif de tous les instruments et passages plus aériens qui laisse chaque musicien se placer en lead. Il faut dire que le groupe doit beaucoup au défunt producteur Don Kirshner, « l’homme à l’oreille d’or » qui les accompagnera dans leurs meilleures heures de gloire tout en épaulant d’autres formations émergentes de l’époque comme Journey, Blue Öyster Cut et même Pink Floyd.
Voici donc un monument intemporel, premier bienfait d’un groupe dont la renommée de fera que grimper jusqu’à ce que le plus « variét » Audio Visions pointe son nez en 1980 et finisse par diviser la formation. Les Kansas sont considérés comme les pionniers du rock symphonique, c’est donc à ce premier album éponyme que bon nombre de formations actuelles doivent leur succès, mais peu (aucune?…) ont su montrer un telle connexion émotive avec l’auditeur. Plus qu’une tuerie, une révélation, un sacre. Majestueux.
9,5/10
Laurent.